Des fesses en fresques.
La Galerie Champaka
se pare des atouts de Valentina, l’héroïne Louise Brookienne du dessinateur
Guido Crepax. Jusqu’au 7 avril, quarante planches du « Grand Maître de l’érotisme », comme aime à l’appeler
Pierre Sterckx, seront exposées au Sablon. Plaisir des yeux avant tout, seules
quinze d’entre elles seront mises en vente, le reste devant retourner en
Italie.
Justement, l’historien de l’art était présent chez Champaka pour admirer le travail de Crepax qu’il aime tant. « C’est vraiment le maître de la
libération sexuelle dans le 9ème art. Mais on ne peut pas le résumer
aux Sexties et à l’émergence de l’érotisme dans la bande dessinée à ce
moment-là. Crepax est transhistorique. » professe l’ancien directeur
de l’ERG. Bien entendu, le dessinateur milanais appartient d’abord à la
génération sixties puisque tout juste sorti de son école d’architecture, il
publie en 1959 sa première bande dessinée dans le Tempo Medico. Valentina,
elle, voit le jour en 1965, puis d’autres suivront, Bianca, Belinda et Anita. C’est cependant sa belle
photographe inspirée par l’actrice Louis Brooks qui bénéficiera de la
bibliographie la plus conséquente avec pas moins de vingt albums narrant ses péripéties
érotiques.
« Il est toujours fallacieux de
réduire un artiste à une époque. », estime Pierre Sterckx. Oui, Crepax est issu du
mouvement de libération sexuelle pré-soixante-huitard mais il a su démontrer
par la longévité de son art qu’il ne pouvait être réduit à cette époque. « A cette époque, justement, la bande
dessinée va dire : je ne suis pas cet art infantile pour lequel les
catholiques et les communistes veulent me faire passer sous le prétexte que les
enfants n’ont pas de sexualité (qu’ils lisent Freud !) », explique
l’expert qui a signé le catalogue de l’exposition Sexties au Bozar en 2009. Cette libéralité des mœurs a bien sûr
profité aux dessinateurs de bandes dessinées érotiques comme Cuvelier, Forest,
Peelaert et Crepax. Ils ont su surfer sur la vague et la dépasser, traversant
les décennies avec toujours pour point d’horizon le plaisir des sens.
Hormis Valentina qu’il a
poursuivi à l’aube du XXIème siècle, Crepax s’est lancé dans bien d’autres
séries parallèles et dans l’illustration d’écrivains de l’érotisme comme le
Marquis de Sade, Emmanuelle Arsan, Pauline Réage ou encore Georges Bataille.
Les « fragments de Valentina » exposés chez Champaka illustrent
bien la maîtrise du dessinateur dans l’art de l’érotisme démontre Pierre
Sterckx : « L’érotisme rompt
avec la fatalité de la sexualité animale orientée vers la reproduction. C’est
tout l’inverse, c’est la recherche du plaisir, voire du retardement de la
pulsion. Ce principe de retardement est vraiment à la base de la philosophie
érotique. »
Du retardement, l’historien nous dit encore qu’il à chercher à deux niveaux
dans le travail de Guido Crepax : « D’abord,
dans le dessin. Le choix du noir et blanc est un retardement en soi, à l’heure
où la couleur a envahi la production bande dessinée. Et puis, il a un trait
extraordinaire, entre la caresse et la flagellation, dans la pure tradition
sado-masochiste. Par ailleurs, son jeu très particulier de cadrage et recadrage
est également une manière de retarder le plaisir. Il a vraiment un cadrage très
osé et recherché, à l’instar d’un Winsor Mc Cay. » La narration elle
aussi joue son rôle de retardeur : « Il
y a un texte de Roland Barthes (le seul qu’il ait écrit sur la bande dessinée,
en introduction à l’illustration que le dessinateur a fait d’Histoire d’O) qui
explique que ce qui est beau dans le traitement de Crepax c’est que les
personnages parlent et ce faisant, retardent l’action. Il y a un contrat entre
les personnages qui passe par la parole. Ce retard par la parole-contrat est
très rare en bande dessinée. »
Selon Sterckx, plus que l’érotisme, la Valentina de Crepax exhale le
masochisme « car il sépare le
plaisir du désir et il met la douleur entre. ». On aura aucune peine à
le croire, vu les adaptations susmentionnées effectuées par Crepax…
Enfin, pour terminer sur l’apologie selon Sterckx, « ce qui est remarquable aussi chez Crepax, c’est l’intégration
des divers arts. Il ne pose pas de barrière grotesque entre les arts majeurs
comme la peinture et les arts mineurs comme la bande dessinée. Crepax a une
culture artistique de haut niveau mais cela ne l’empêche pas de passer la
frontière sans jamais trahir le médium BD. » Et de conclure : « Il fallait vraiment une personnalité
exceptionnelle pour oser faire cela dans les années ’60. Il a compris que c’est
par l’art mineur que les grandes choses arrivent. »
Cet article a été publié sur culture et compagnie.
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