vendredi 22 mars 2013

Valentina, Guido Crepax



Des fesses en fresques. 

La Galerie Champaka se pare des atouts de Valentina, l’héroïne Louise Brookienne du dessinateur Guido Crepax. Jusqu’au 7 avril, quarante planches du « Grand Maître de l’érotisme », comme aime à l’appeler Pierre Sterckx, seront exposées au Sablon. Plaisir des yeux avant tout, seules quinze d’entre elles seront mises en vente, le reste devant retourner en Italie.

Justement, l’historien de l’art était présent chez Champaka pour admirer le travail de Crepax qu’il aime tant. « C’est vraiment le maître de la libération sexuelle dans le 9ème art. Mais on ne peut pas le résumer aux Sexties et à l’émergence de l’érotisme dans la bande dessinée à ce moment-là. Crepax est transhistorique. » professe l’ancien directeur de l’ERG. Bien entendu, le dessinateur milanais appartient d’abord à la génération sixties puisque tout juste sorti de son école d’architecture, il publie en 1959 sa première bande dessinée dans le Tempo Medico. Valentina, elle, voit le jour en 1965, puis d’autres suivront, Bianca, Belinda et Anita. C’est cependant sa belle photographe inspirée par l’actrice Louis Brooks qui bénéficiera de la bibliographie la plus conséquente avec pas moins de vingt albums narrant ses péripéties érotiques.

« Il est toujours fallacieux de réduire un artiste à une époque. », estime Pierre Sterckx. Oui, Crepax est issu du mouvement de libération sexuelle pré-soixante-huitard mais il a su démontrer par la longévité de son art qu’il ne pouvait être réduit à cette époque. « A cette époque, justement, la bande dessinée va dire : je ne suis pas cet art infantile pour lequel les catholiques et les communistes veulent me faire passer sous le prétexte que les enfants n’ont pas de sexualité (qu’ils lisent Freud !) », explique l’expert qui a signé le catalogue de l’exposition Sexties au Bozar en 2009. Cette libéralité des mœurs a bien sûr profité aux dessinateurs de bandes dessinées érotiques comme Cuvelier, Forest, Peelaert et Crepax. Ils ont su surfer sur la vague et la dépasser, traversant les décennies avec toujours pour point d’horizon le plaisir des sens.

Hormis Valentina qu’il a poursuivi à l’aube du XXIème siècle, Crepax s’est lancé dans bien d’autres séries parallèles et dans l’illustration d’écrivains de l’érotisme comme le Marquis de Sade, Emmanuelle Arsan, Pauline Réage ou encore Georges Bataille.

Les « fragments de Valentina » exposés chez Champaka illustrent bien la maîtrise du dessinateur dans l’art de l’érotisme démontre Pierre Sterckx : « L’érotisme rompt avec la fatalité de la sexualité animale orientée vers la reproduction. C’est tout l’inverse, c’est la recherche du plaisir, voire du retardement de la pulsion. Ce principe de retardement est vraiment à la base de la philosophie érotique. »

Du retardement, l’historien nous dit encore qu’il à chercher à deux niveaux dans le travail de Guido Crepax : « D’abord, dans le dessin. Le choix du noir et blanc est un retardement en soi, à l’heure où la couleur a envahi la production bande dessinée. Et puis, il a un trait extraordinaire, entre la caresse et la flagellation, dans la pure tradition sado-masochiste. Par ailleurs, son jeu très particulier de cadrage et recadrage est également une manière de retarder le plaisir. Il a vraiment un cadrage très osé et recherché, à l’instar d’un Winsor Mc Cay. » La narration elle aussi joue son rôle de retardeur : « Il y a un texte de Roland Barthes (le seul qu’il ait écrit sur la bande dessinée, en introduction à l’illustration que le dessinateur a fait d’Histoire d’O) qui explique que ce qui est beau dans le traitement de Crepax c’est que les personnages parlent et ce faisant, retardent l’action. Il y a un contrat entre les personnages qui passe par la parole. Ce retard par la parole-contrat est très rare en bande dessinée. »
Selon Sterckx, plus que l’érotisme, la Valentina de Crepax exhale le masochisme « car il sépare le plaisir du désir et il met la douleur entre. ». On aura aucune peine à le croire, vu les adaptations susmentionnées effectuées par Crepax…

Enfin, pour terminer sur l’apologie selon Sterckx, « ce qui est remarquable aussi chez Crepax, c’est l’intégration des divers arts. Il ne pose pas de barrière grotesque entre les arts majeurs comme la peinture et les arts mineurs comme la bande dessinée. Crepax a une culture artistique de haut niveau mais cela ne l’empêche pas de passer la frontière sans jamais trahir le médium BD. » Et de conclure : « Il fallait vraiment une personnalité exceptionnelle pour oser faire cela dans les années ’60. Il a compris que c’est par l’art mineur que les grandes choses arrivent. »

Ce qui arrive ici, c’est la fin de l’article. Il ne vous reste plus qu’à aller vérifier par vous-mêmes le sublime des planches de Guido Crepax. Cela se passe à la Galerie Champaka jusqu’au 7 avril. Plaisir des sens garanti.


Cet article a été publié sur culture et compagnie.

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